Quelle différence entre un data scientist et un Quant ?
Quand j’ai débuté dans la finance, il y a près de vingt ans, la salle des marchés était pleine de ‘Quants’. En général tous titulaires d’un doctorat, ces employés érudits étaient très intelligents mais, pour une raison que j’ignore, quelque peu sous-estimés et sous-payés. Les choses ont évolué depuis, et si vous croisez aujourd’hui au détour d’une banque d’investissement ou d’un hedge fund un élément brillant, lui aussi titulaire d’un doctorat, il y a fort à parier qu’il est ‘Data Scientist’, même s’il reste toujours quelques Quants. Mais au fond, y a-t-il vraiment une différence entre les deux, ou est-ce juste une question de formulation pour désigner des postes identiques sur le fond ?
Commençons par définir le poste de Quant. A mes débuts en buy-side, la plupart des Quants en banque d’investissement s’occupaient de pricing ou de gestion du risque. Ils avaient généralement des formations en maths ou physique, et leurs connaissances de base leur permettaient de comprendre les modèles théoriques d’évaluation des actifs.
Moi qui étais trader en dérivés exotiques, je m’appuyais sur les Quants pour construire des modèles visant à valoriser les produits innovants que nous ne cessions d’inventer. Une autre équipe de Quants en gestion du risque s’assurait que nous puissions couvrir ces produits après trading, et produisait des modèles de contrôle du risque à l’échelle de l’équipe et de toute la structure.
C’était un peu l’âge de pierre de la finance, et le trading électronique était encore relativement récent. Il y avait donc assez peu de Quants construisant des modèles pour la tenue de marché automatisée ou l’exécution algorithmique des ordres clients. Ces catégories de Quants, qui conçoivent des systèmes requérant peu d’intervention humaine, sont beaucoup plus répandus de nos jours.
On trouvait le même type de Quants en sell-side, mais il y avait aussi quelques postes un peu plus glamour. Après la banque, j’ai travaillé dans un hedge fund où je concevais des modèles de trading systématique. Ils employaient plusieurs équipes de Quants en recherche, des Quants gestionnaires de portefeuilles (avec des responsabilités en p&l) et des Quants développeurs (qui écrivaient du code). Tous avaient besoin d’un mix de connaissance du marché, théorie financière et compétences en codage, et il y avait des chevauchements significatifs entre tous ces rôles.
Pour revenir à la situation actuelle, que fait donc un Data Scientist ? En général, il collecte des données (ce qui peut impliquer la gestion du stockage dans son ensemble), les analyse et fournit des résultats potentiellement exploitables pour le business.
De toute évidence, les doublons entre les rôles de data scientist et de Quants sont nombreux. Par exemple, les Quants en gestion du risque collectent des données sur les prix et les positions du marché, les analysent pour prévoir la probabilité des rendements futurs, et émettent des recommandations de façon à réduire ou couvrir certaines opérations.
De la même façon, les concepteurs de stratégies de trading algorithmique collectent d’abord les données sur l’historique des prix du marché et d’autres facteurs, tels que les rendements d’actions ou de taux d’intérêt. Ils les analysent ensuite pour trouver des modèles qui permettront de prévoir les changements de prix à venir. Ces modèles sont alors incorporés aux stratégies de trading systématique. Les Quants des établissements de trading haute fréquence suivent un process similaire, tout comme ceux qui travaillent en banque sur l’exécution algorithmique ou la tenue de marché ; à la nuance près que les données de prix sont plus granulaires et les prévisions limitées à une période plus courte.
Le seul rôle qui ne soit pas totalement couvert par la nouvelle définition de poste en lien avec la data science est peut-être celui du Quant entièrement dédié au pricing. A la base, le pricing d’un nouveau produit dérivé est un exercice purement théorique, qui ne nécessite pas d’aller fouiller dans les données réelles du marché. Malheureusement, il est un stade où les modèles de pricing doivent être calibrés en cohérence avec les prix réels, mais généralement, les Quants en pricing sont moins dépendants des données réelles que les data scientists, préférant la rationalité plus cool des équations mathématiques.
En outre, il existe quelques rôles vraiment nouveaux en data science, au-delà du simple toilettage des anciens jobs de Quants. Il y a une tendance à l’élargissement des jeux de données, à de nouveaux types de données alternatives, et à l’amélioration de la puissance de traitement nécessaire à l’analyse de ces jeux de données. Tout ceci signifie que certains data scientists travaillent dans des secteurs de banques et hedge funds qui n’employaient pas de Quants à l’origine, ou dans de tous nouveaux secteurs qui n’existaient pas au début de ma carrière.
Quoi qu’il en soit, en dépit des différences de nomenclature, les Quants et data scientists font souvent les mêmes jobs dans les faits, avec des prérequis très similaires en termes de compétences et de qualifications. Sauf que… les data scientists ont un avantage : le job de data scientist bénéficie actuellement d’une certaine aura, et la pénurie de candidats présentant les qualifications adéquates est manifeste. S’ils sont malins, les data scientists ont les moyens de négocier des rémunérations qui auraient fait rêver les Quants de la vieille école.
Robert Carver n’a jamais eu le titre de ‘Quant’ ou ‘Data Scientist’ mais il a occupé plusieurs postes en finance quantitative, à la fois en buy-side (il a été trader dérivés exotiques chez Barclays) et en sell-side (gestionnaire de portefeuille au sein du hedge fund quantitatif AHL). Robert est l’auteur de ‘Leveraged Trading’, ‘Smart Portfolios’ et ‘Systematic Trading’.