Conflit générationnel sur le trading floor : « Les gens prennent des décisions sur des choses dont ils ignorent presque tout »
Si certains emplois dans la banque ont été protégés au cours de ces cinq dernières années, ceux dans le trading électronique l’ont certainement été plus que d’autres. Les banques ont investi de l’argent et des effectifs sur ‘l’électronisation’ simplement pour rester dans la course, mais à mesure que les commissions de trading chutent et que les faiseurs de marché prennent le large, il devient évident que beaucoup se retrouveront sur le banc de touche.
Le problème, c’est que le besoin en investissements dans le trading électronique a augmenté, précisément à cause de la chute des commissions générées par le trading actions. Le TABB Group a récemment conclu que l’enveloppe de commissions dans le buy-side U.S. avait chuté de 42% entre 2015 et 2019, et que quelques années « douloureuses » étaient à venir…
Les banques ne communiquent pas sur la part de leurs énormes budgets de trading technologique allouée dans leurs systèmes de trading, mais il est raisonnable de supposer qu’elle est conséquente. Goldman Sachs, par exemple, affirme que 25% de ses 35.600 employés travaillent dans la technologie. Quant à Joanne Hannaford, responsable de la technologie pour la région EMEA de Goldman, elle a déclaré en juin lors d’une conférence que 3.000 employés de la technologie travaillaient rien que sur SecDB, le système de gestion du risque et de pricing de la banque. Goldman consacre 1 Md$ par an à la technologie et à la communication, ce qui implique que la seule SecDB consomme jusqu’à 33% de ce budget, sans compter l’investissement de la banque dans le reste de son infrastructure de trading électronique.
Goldman est l'une des banques à avoir dépensé énormément dans le trading électronique ces dernières années. Après avoir pris du retard sur ses rivales comme Morgan Stanley et JPMorgan après la crise financière, elle a recruté Raj Mahajan, l'ex-CEO de la société de trading à haute vitesse Allston Trading, et a racheté en 2015 la société technologique de trading Pantor basée à Stockholm. Début 2018, Lloyd Blankfein, qui était encore CEO, déclarait que Goldman avait embauché 100 spécialistes du trading électronique l’année précédente. Et en août, Adam Korn, responsable de l’ingénierie de la division trading de Goldman, a déclaré vouloir embaucher 100 ingénieurs supplémentaires pour travailler sur les systèmes de trading dans les prochains mois.
Goldman semble avoir été récompensé pour ses efforts. Sa part de marché sur le marché actions a atteint 17% au deuxième trimestre 2019 et les revenus actions ont atteint leur plus haut taux depuis deux ans. Mais des sources internes à l'équipe de trading électronique suggèrent que tout ne va pas très bien.
Des démissions ont eu lieu, notamment chez les talents juniors, comme celle le mois dernier d’Ally Huchro, associate dans l’équipe trading électronique et vente quantitative de la banque à New York. « Les emplois dans le trading électronique dans les banques sont en train de se dégarnir », relève quelqu’un qui travaille dans le trading électronique chez Goldman Sachs. « Les gens se rendent compte que les sociétés de trading électronique comme Virtu sont devenues des places to be ».
Et c’est bien là le revers de la médaille. Tandis que les grandes banques investissent de l’argent sur un marché en contraction, les sociétés de trading électroniques avec des frais généraux moins élevés et de meilleurs systèmes remportent la mise. En novembre dernier, Virtu a acquis ITG pour 1 Md$, lui permettant ainsi d’avoir accès aux relations investisseurs institutionnels d’ITG. A noter que la nouvelle société fusionnée est déjà un nouveau casse-tête pour les banques. Pendant ce temps, XTX Markets, venu (presque) de nulle part, est désormais classée au troisième rang du trading de devises et prend de l’importance sur le marché actions
Les nouvelles sociétés de trading électronique n’emploient pas beaucoup de personnel. D’après les comptes disponibles de Jane Street International Limited, l'entité britannique de Jane Street employait l’an dernier 158 personnes au UK, dont 129 dans le « back office ». Pour les professionnels du trading électronique des banques qui s'inquiètent d’un retournement du marché, les opportunités de sorties seront difficiles à saisir.
Les préoccupations sont encore plus criantes dans les banques Tier 2. Loin des leaders du marché que sont Goldman Sachs, JPMorgan et Morgan Stanley, les banques comme Citi, Credit Suisse, UBS, Barclays et SocGen ont chacune oscillé autour de 6-7% de part de marché au deuxième trimestre. C’est là que la pression sur les revenus est la plus intense et la nécessité d’investir la plus évidente. Depuis la décision en juillet de Deutsche Bank de se retirer du marché trading actions, les banques Tier 2 se demandent laquelle d’entre elles sera la prochaine.
« Nous luttons car nous essayons de monter le produit et faire en sorte qu’il soit extrêmement rentable, mais celui-ci est très incomplet », note un professionnel du trading électronique de l’une de ces banques. « Le problème n’est pas seulement d’avoir le produit le plus rapide, mais aussi qui fonctionne avec un bon contrôle des risques, la transaction cost analysis (TCA) ainsi qu’un bon traitement et service post-transaction. Certes, nous avons quelques algos et investissements en ‘token’, mais c’est loin d’être suffisant. La course a déjà commencé et nous sommes trop loin derrière les leaders pour les rattraper ».
Un professionnel senior du trading électronique d’une autre banque Tier 2 exprime un sentiment similaire. « Nous sommes désormais sous pression pour réduire les coûts de la technologie », explique-t-il. « Il y a eu un grand redémarrage, mais fondamentalement, il n'y a pas de nouveau produit derrière et ce n'est qu'une question de temps avant que cela devienne évident ».
Alors que les banques Tier 2 pataugent dans le trading électronique, certains se plaignent du fait que les dirigeants qui gèrent leurs activités électroniques sont des traders traditionnels surpayés qui comprennent mal le nouveau paysage et ce qu’il faut faire pour être concurrentiel. L'expérience récente de Deutsche Bank en est un parfait exemple.
« Le senior management est enraciné et ne peut pas distinguer un algo d’un autre », réagit le director mécontent d'une équipe de trading électronique. « Ce sont des personnes spécialisées dans et les dérivés et le legacy code qui décident de l’avenir d’une plate-forme de trading électronique dont ils ne connaissent rien. Elles pensent qu’il est suffisant d’avoir un seul algo et quelques algos symboliques, mais c’est un marché extrêmement concurrentiel et la solution n’est pas la même pour tous ».
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