Le private equity, vraiment la terre promise ?
Les jeunes entrent d’abord en banque d’investissement. Puis, une fois confrontés à la réalité de cette vie, ils partent en private equity. Mais qu’advient-il quand le private equity ne tient pas ses promesses ?
Je suis dans ce secteur depuis des années et j’ai vu le recrutement en private equity évoluer. Au début, on ne parlait que de recrutements « sur mesure » opérés par des fonds de PE offrant de meilleurs salaires, des titres plus valorisants, et peut-être aussi la perspective proche d’un intéressement aux deals sur lesquels vous aviez travaillé. Sans compter que la durée de travail paraissait moins exténuante que dans les grandes banques d’investissement.
Mais il y a une dizaine d’années, ou peut-être un peu plus, les établissements de private equity ont commencé à lever de plus en plus de fonds, et ont eu besoin de recruter de plus en plus de juniors. Le travail était très similaire à celui effectué en banque – tout tournait autour de l’analyse et du travail de fonds nécessaires aux offres que les fonds de PE voulaient faire, et deux ans (ou peut-être moins) comme analyst dans une bulge bracket suffisaient largement à fournir aux nouvelles recrues les compétences recherchées.
De leur côté, les banquiers juniors étaient ravis de mordre à l’hameçon du PE. Après tout, ces établissements, comme les postes qu’ils proposaient, étaient toujours perçus comme du sur-mesure. Le travail paraissait toujours moins intense, et les banquiers juniors voyaient bien que la vie d’un associate en banque d’investissement n’était en réalité guère différente de celle d’un analyst.
Dix ans plus tard, je vois des amis de mon fils enlisés dans la machine du recrutement en PE. De nos jours, les fonds de private equity recrutent des machines. Ils se jettent sur les analysts en banque dès qu’ils ont accepté une offre, et il n’est pas rare de voir des banquiers juniors partir dès leur première année. Mais dès qu’ils abordent la terre promise du private equity, les choses ne vont pas comme ils l’avaient espéré. Déjà, les horaires n’ont rien à envier à ceux des cadors de la banque ou des boutiques M&A, et il leur faut des années d’horaires infernaux, et de salaire et bonus de base avant d’entrevoir la moindre perspective de détenir des parts sous forme de carried interest.
Mais alors que faire quand vous avez déjà choisi une première fois l’option de sortie, et que vous voulez de nouveau partir ? Avant la pandémie, j’ai rencontré un jeune diplômé sorti d’une prépa renommée du New England, puis d’une fac de l’Ivy League, athlète de haut niveau, qui avait passé deux ans chez Goldman Sachs avant de rejoindre l’un des big four américains en private equity (KKR, Apollo, Blackstone ou Carlyle). Il avait abandonné son job en private equity moins d’un an plus tard, faute d’avoir constaté la moindre amélioration de ses horaires de travail et de son rythme de vie, et sans avoir le moindre intéressement aux deals.
Peut-être n’aurait-il pas dû attendre de carried interest aussi tôt. Mais en regardant le revenu que le fonds de PE pensait générer à l’issue d’un deal sur lequel il travaillait (peut-être 400 millions de dollars en fin d’opération) et en le comparant aux quelques centaines de milliers de dollars correspondant à ses salaires et bonus annuels, il s’est senti trahi.
Au bout d’un an environ, il est parti pour vendre de l’immobilier et a tenté de décrocher une commission d’intermédiaire ponctuelle en présentant des entreprises à des start-up en PE ou des sociétés de capital-risque gérées par de jeunes diplômés de MBA comme lui. Je ne sais pas où il en est depuis la pandémie, mais en tout état de cause, cela me paraissait plus prometteur que le long cheminement sur l’interminable échelle du private equity.
Scott Brown est le pseudonyme d’un financier de Wall Street fort de trente ans d’expérience.
Crédit photo : Julia Caesar sur Unsplash