Lettre de démission de Goldman Sachs: les sous-effectifs sont caractéristiques du modèle
En matière de création littéraire, les lettres de démission de postes en banque constituent un genre à part entière. L’une des plus connues reste celle de Greg Smith, un VP de Goldman Sachs qui avait informé la banque de son départ en 2012 en faisant publier une lettre ouverte dans le New York Times ; il avait ensuite reçu une offre mirifique d’un éditeur pour écrire un livre. On se rappelle aussi 2018 et celle de Bill Keenan, associate de Deutsche Bank, dans laquelle il avouait « remplir de tâches douteuses le fichier de suivi de ses 110 heures par semaine.»
La démission de Luca Kleinlugtenbelt, executive director (ED) chez Goldman Sachs à Francfort, n’est certes ni aussi critique que celle de Greg Smith, ni aussi directe que celle de Bill Keenan, mais elle contient quelques piques voilées envers la banque dans laquelle il a passé six ans et demi en M&A.
Malgré une croissance rapide, Goldman a « persisté à conserver des équipes relativement restreintes, » raconte Luca Kleinlugtenbelt. Celles-ci sont par nature « généralement en sous-effectifs » et donc « poussent les gens hors de leur zone de confort. » Les systèmes de technologie de Goldman ne sont pas toujours les meilleurs, ajoute-t-il en citant un MD anonyme – mais toutes les insuffisances technologiques sont compensées par la force des collaborateurs de Goldman. Laquelle a par ailleurs institutionnalisé l’impatience : « après avoir quitté GS, vous pourriez avoir tendance à vous impatienter si quelqu’un ne décroche pas le téléphone au bout de deux sonneries, ou si les gens ne comprennent pas que vous les « relanciez » 5 mn après leur avoir envoyé un courriel. »
Luca Kleinlugtenbelt n’a pas souhaité commenter cet article et son email de démission (que nous publions dans son intégralité ci-dessous) ne donne aucune indication sur sa prochaine destination. Goldman elle-même n’a pas donné suite à notre demande de commentaire.
Dans l’ensemble, Luca Kleinlugtenbelt a clairement apprécié le temps passé chez Goldman, qu’il considère comme un endroit à part. Il a aussi clairement compris que quitter Goldman ne va pas sans un certain réajustement – les autres employeurs n’attendent pas les mêmes niveaux de productivité ou ne portent pas la même attention au détail. Quitter Goldman Sachs, c’est un peu « Voyage en terre inconnue » ; comme le soulignait il y a quelques années Alexandra Michel, ex-associate chez Goldman devenue professeure d’université, celles et ceux qui quittent le secteur bancaire tendent à répliquer dans leurs nouveaux postes les mêmes pratiques de travail extrêmes, alors qu’ils opèrent dans d’autres secteurs.
Goldman a supprimé 3 200 postes en janvier dernier. Luca Kleinlugtenbelt ne précise pas si le sien a fait partie du lot, mais il est probable que le process aurait été plus longtemps en Allemagne. Il précise – non sans une pointe d’ironie, que personne ne devrait être trop triste de le voir partir dans la mesure où il n’était de toutes façons pas si bon que ça…
Nous lui souhaitons bonne chance quel que soit son prochain projet.
Lettre de démission de Luca Kleinlugtenbelt, Goldman Sachs, dans son intégralité :
Le temps est venu de vous dire au revoir (pour l’instant)…
Lorsque j’ai franchi la porte d’entrée du bureau GS de Francfort il y a plusieurs années, je n’imaginais pas le monde d’après, pas plus que je ne pensais être amené à écrire ce courriel dès aujourd’hui. GS est perçue par beaucoup comme un arrêt aux stands sur le parcours qui mène au sommet de la hiérarchie des besoins de Maslow – ou pour reprendre les termes d’un grand quotidien allemand : « chez Goldman, on ne se retire pas pour une question d’âge, mais pour poursuivre de nouvelles opportunités ». Pour moi aussi, il est maintenant temps de partir vers de nouvelles opportunités.
Pourtant, avant de prendre congé, j’aimerais revenir à ma première interaction avec GS : les entretiens. On nous pose souvent la question en entretien : « pourquoi voulez-vous rejoindre Goldman Sachs ? » et la plupart des réponses tournent autour des pavés de texte en ligne sur gs.com/careers et changent à chaque mise à jour du site – mais quel est donc l’élément fondamental qui rend GS exceptionnelle ? Après quelques années dans la boîte, je pense pouvoir enfin répondre :
C’est sa culture unique
… la proactivité
Alors que de nombreuses multinationales définissent un cadre strict de tâches et d’activités, GS pousse ses employés à la proactivité, et elle en vit. En apprenant cela même à nos stagiaires les plus juniors, nous faisons germer un état d’esprit d’entrepreneur dont chacun bénéficie durant son passage chez GS et au-delà.
…l’insistance
À mon arrivée chez GS, « relancer » ne faisait pas partie de mon vocabulaire. Durant mes premières semaines de stage, j’ai appris assez vite que si on envoie un email, ce n’est pas quand une tâche est terminée, mais plutôt quand elle commence. Après avoir quitté GS, vous pourriez avoir tendance à vous impatienter si quelqu’un ne décroche pas le téléphone au bout de deux sonneries, ou si les gens ne comprennent pas pourquoi vous les « relancez » 5 mn après leur avoir envoyé un courriel – il y a peu d’espace pour utiliser l’insistance de GS hors du monde de GS.
…l’attention au détail
Quiconque croit la maîtriser en fin d’études sait au bout d’un ou deux mois chez GS que ce n’est pas le cas. En division banque d’investissement comme en global markets, l’attention extrême au détail nous protège d’une part des erreurs et des pertes financières, et d’autre part – plus important encore – nous aide à servir nos clients du mieux possible, ce qui nous distingue des autres banques.
…l’esprit d’équipe
En dépit de ses 150 ans et plus de 50 000 employés, la banque a persisté à conserver des équipes relativement restreintes – qui par nature sont généralement en sous-effectifs et donc poussent les gens hors de leur zone de confort vers des niveaux inédits de productivité, mais aussi, et c’est encore plus important, créent un véritable esprit d’équipe et une approche « commune » au sein de ces groupes – ce n’est qu’en travaillant avec son équipe qu’on peut atteindre 110%.
…tout un chacun
De tous temps, GS a vécu et vit encore de ses employés, ou comme l’a dit un jour un MD resté anonyme, « nous n’avons peut-être pas les meilleurs systèmes tech, mais nous faisons en sorte d’embaucher les meilleurs pour compenser. » Assurons-nous que toute nouvelle décision d’embauche repose sur le désir essentiel de recruter le meilleur talent – et seulement le meilleur – même si cela nécessite un effort supplémentaire que la guerre des talents ne cesse de s’exacerber.
Assurons-nous que l’état d’esprit du moment ne change que dans la forme et pas sur le fond, et que culture de GS ne devienne pas victime de son temps.
Je vous souhaite à tous la réussite que vous méritez ! N’oubliez jamais que la roue de GS continue toujours de tourner – GS vit de ses anciens de la même façon que de ses employés actuels. Et à qui serait personnellement triste de me voir partir, rappelez-vous : je n’étais pas si bon que ça. 😉
Au revoir, auf Wiedersehen, et j’espère à bientôt
Luca
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